Vue aérienne du camp de Lanniron Le 17 juin 1940 le gouvernement français demande les conditions d'un armistice au gouvernement nazi. Le 20 juin, les troupes allemandes occupent la capitale finistérienne. Le 25 juin, les militaires français présents dans la ville reçoivent l'ordre des autorités militaires allemandes de se rendre dans la caserne de La Tour d'Auvergne, occupée avant guerre par le 137ème RI afin de s'y constituer prisonniers.
Cette date marque les débuts du Front stalag 135 établi à Quimper. En attendant la construction des camps de prisonniers en Allemagne, l'occupant maintient dans des camps en France les prisonniers de guerre français. On en comptera jusqu'à 57 sur le territoire occupé.
Les casernes de Quimper sont prévues pour moins de 3 000 hommes. Elles vont devoir loger selon les périodes de 4 000 à près de 6 000 prisonniers des trois armes (Terre, Marine, Air) ainsi que des soldats issus des troupes coloniales. Celles-ci ne sont pas séparées des prisonniers métropolitains dans un premier temps.
L'organisation particulière des bâtiments, leur intégration au cœur de la ville ne permettent pas aux yeux des Allemands une surveillance très efficace de leurs prisonniers. Plusieurs évasions réussissent. D'autre part, la Wermarcht dans la perspective de l'invasion de l'Angleterre souhaite s'approprier pour ses propres troupes des casernements relativement confortables.
Les autorités d'occupation décident de la construction en septembre 1940 d'un nouveau camp de prisonniers de guerre. Il sera installé en périphérie de Quimper, dans une clairière entourée de bois, sur la rive gauche de l'Odet. Le terrain Le mirador concerné est situé sur l'ancienne commune d'Ergué-Armel, intégrée à celle de Quimper en 1960.
Le stalag est construit sur des terrains privés de deux domaines d'Ergué-Armel Lanniron et Poulguinan. Le camp 135 va occuper Cinq hectares de terrains agricoles et de vergers dépendants du château de Lanniron appartenant à Françoise Hersart du Buron épouse d'Abel de Massol. Trois autres hectares dépendant du château de Poulguinan sont réquisitionnés à leur propriétaire, Hubert de Blois.
Au début du mois de novembre 1940, le château de Lanniron est également réquisitionné et mis à la disposition des officiers allemands du camp.
Dans un premier temps, des baraques sont élevées sur une superficie de 20 ares. Mais le camp est rapidement agrandi, car à la fin 1944, les baraques occupent 90 ares. On y trouve aussi des emplacements cimentés pour les WC et les lavabos. Plus de 50 ares de routes empierrées sont ouvertes sans compter les tranchés et les emplacements bétonnés.
Les prisonniers de guerre internés dans les casernes de La Tour d'Auvergne sont transférés le 1er octobre 1940 au nouveau camp de Lanniron.
Le prisonnier de guerre, Henri Martin, détenu à Lanniron, nous a laissé une description précise du camp 135 :
Un garde AllemandFigurez-vous un grand bois de châtaigniers au bord d'une rivière. Au milieu de ce bois une vaste clairière de 200 m de long et autant de large. Là, on a construit une cinquantaine de baraques en planche, pas mal faites d'ailleurs, surélevées de 50 cm du sol, avec fenêtres, le tout recouvert de tôles ondulées. L'inconvénient de tout ceci, c'est qu'on n'a pas prévu de poêle l'hiver. On va y geler. Dans ces baraques, on loge 120 hommes environ serrés les uns contre les autres. Il va s'en dire que tout autour du camp se trouve 2 rangées de fils de fer barbelés de 3m de haut et devant ces 2 rangés, 2 autres de 1,50m plus serrés encore. De plus, au quatre coins du camp des donjons de 10m de haut en planche avec escalier intérieur permettant aux gardiens de placer des mitrailleuses et de bien surveiller le terrain....c'est bien fait pour ne pas en sortir.
Des unités spéciales appelées Landesschutzen-Bataillon ont en charge la garde des camps de prisonniers de guerre et de leurs détachements de travail. A Lanniron, un certain Queisch assure le commandement des soldats du Landesschutzen-Bataillon 388 qui assure la garde du camp.
Les autorités d'occupation ayant décidé le transfert des soldats français vers l'Allemagne et l'Autriche, près de 2000 prisonniers rejoignent la gare de Quimper le 12 décembre 1940 pour un train en partance vers le Reich. Seules quelques centaines de militaires métropolitains sont maintenues dans le camp de Lanniron. La majorité de ces prisonniers « blancs » est affectée à des détachements de travail à Brest (700 prisonniers) au Poulmic en Crozon, à Châteaulin, Pluguffan, Vannes et Coetquidan.
L'armée allemande impose le travail des prisonniers de guerre sur les chantiers militaires. En tout, 79 détachements de travail dépendent du front Stalag 135 en 1941. La journée de travail est normalement de 8 heures par jour, non compté le temps mis pour se rendre sur le chantier.
Prisonniers en captivité à la caserne de quimperA partir de décembre 1942, la majorité des troupes présentes au camp de Lanniron est constituée de troupes coloniales composées de militaires issus des colonies d'AEF (Afrique Equatoriale française) d'AOF (Afrique occidentale française) et d'Afrique du Nord. Ces soldats de couleur sont jugés indésirables par le régime national socialiste sur le sol allemand.
En mai 1941, le camp de prisonniers de Quimper visité par les inspecteurs de la Croix Rouge compte selon la terminologie raciste alors employée 803 blancs, 6592 hommes de couleurs, 31 noirs, 320 annamites, soit un total de 7 746 hommes.
Les archives sont malheureusement trop peu nombreuses pour permettrent de connaître précisément la vie quotidienne de ces hommes à l'intérieur du stalag 135 entre 1941 et 1944.
Cependant, plusieurs décès de soldats coloniaux sont constatés dans les registres de l'état civil. Il s'agit de tirailleurs sénégalais (18ème RTS), marocains (2ème RTM), tunisiens (8 RTT) et algériens (19 RTA). On signale la présence de soldats de bataillons de pionniers ou du Génie, originaires d'Afrique du Nord. La grande majorité de ces soldats a été mobilisée en Tunisie, en Algérie et au Maroc.
Dix militaires coloniaux vont décéder à Quimper en 1941. A la lecture des rapports de la Croix Rouge, il ne semble pourtant pas que les conditions de vie des prisonniers français de Lanniron aient été plus mauvaises que celles des autres camps d'internement. Cependant l'éloignement culturel, le froid et l'humidité de baraques mal chauffées sont difficilement supportables pour ces hommes originaires de régions bien éloignées du climat océanique breton. Prisonnier sénégalais au camp de Lanniron
Néanmoins, les conditions générales d'hygiène sont, de l'avis de la Croix Rouge, qui inspecte le camp le 28 mai 1941, assez bonnes. Les prisonniers ont accès quotidiennement aux douches (froides). Dix-sept médecins ont en charge les prisonniers rattachés au front stalag 135. Deux médecins sont présents en permanence à Lanniron, mais avec quels médicaments ? La tuberculose est bien présente mais ne dépasse pas les niveaux présents dans d'autres camps : 3% des prisonniers en sont cependant atteints en 1941.
Avec l'arrivée massive de soldats coloniaux, il semble cependant qu'une partition s'opère désormais : deux camps cohabitent à l'intérieur du stalag : d'un coté les baraquements des prisonniers de guerre métropolitains, de l'autre, ceux affectés aux troupes coloniales.
A l'intérieur de l'espace du camp attribué aux soldats de couleur les hommes sont affectés aux différentes baraques en fonction de leur nation d'origine. Une baraque héberge en moyenne 90 hommes. A la tête de chaque dortoir, l'on trouve un prisonnier, chef de la baraque au statut privilégié. Il est aidé de deux autres prisonniers faisant office de policiers et chargés du maintien de l'ordre dans le dortoir.
L'un des bâtiments du camp fait office de mosquée. Les colis de la Croix Rouge et d'associations d'aides marocaines, certainement trop peu nombreux permettent heureusement d'améliorer quelque peu la ration quotidienne d'un petit nombre de prisonniers. La bibliothèque de l'ancien 137ème RI déménagées au camp à la fin 1941 représente l'essentiel de l'activité de détente proposée aux internés au repos.
Quant à ceux qui penseraient à l'évasion. Une punition de 21 jours d'isolement sanctionne toute tentative.
Les troupes coloniales sont pendant toute la durée de la guerre exploitée comme une main d'œuvre bon marché par les autorités allemandes dans les détachements de travail.
A la Libération des camps, certains d'entre eux rejoignent les rangs de la Résistance.
La France ayant retrouvée sa souveraineté va les renvoyer chez eux, sans cérémonie, presque sans regrets. C'est le temps de l'oubli dans un pays en ruines qu'il faut reconstruire alors que d'autres camps, d'une toute autre nature, s'ouvrent sur des fantômes, plus à l'est, au fur et à mesure de l'avancée des troupes alliées en Allemagne et en Pologne.
La ville de Quimper est libérée le 8 août 1944 après plusieurs combats opposant les résistants aux troupes allemandes qui se replient vers Brest et la presqu'île de Crozon. L'histoire du camp de Lanniron ne s'arrête pourtant pas à cette date.
Dès la libération de la ville, le camp de Lanniron devient le lieu de détention des soldats allemands capturés par la Résistance et les américains ou remis aux mains des autorités françaises. Les conditions de détention réservées aux Allemands vaincus semblent avoir été plus dures que celles réservées à leurs prédécesseurs français.
En effet, au moins 39 soldats allemands sont décédés en captivité au camp de Lanniron : 18 ont été inhumés dans un premier temps à Quimper et 21 à Ergué-Armel entre août 1945 et le 26 mai 1946, date du dernier décès enregistré. Plusieurs cas de mauvais traitements sur des prisonniers de guerre, exercés en été 1944 par des gardiens issus des rangs de la Résistance sont hélas rapportés.
Il semble que l'armée américaine ait également participé à l'administration du camp mais pour une période indéterminée. Lorsque le 15 septembre 1945, les représentants du CICR visitèrent le site quelques 3853 soldats allemands y sont encore détenus.
Selon les rapports, la vermine infeste les baraques et les prisonniers qui manquent de vêtements. L'alimentation y est des plus médiocre. Le système des détachements de travail continue à être utilisé. Les prisonniers allemands sont employés au déblaiement des ruines, au déminage des plages et des zones de combats ou aux travaux des champs dans les fermes environnantes. La population leur est souvent hostile et de nombreux manquements aux règles de la Convention de Genève sont signalés dans la plupart des camps de prisonniers allemands.
Les derniers prisonniers quittent Lanniron en 1946. Le camp est définitivement fermé peu après mai et le 29 juin 1946, les autorités militaires françaises lèvent la réquisition des terrains qui sont alors restitués à leurs légitimes propriétaires, les familles de Massol et De Blois. Les baraques sont démontées dès la fermeture du camp.
Aujourd'hui rien ou si peu, ne subsiste plus sur place de ce camp.
Bien vite effacée par la joie de la Libération, l'ombre de quelques 8 000 soldats coloniaux français, main-d'œuvre étrangère, exploitée et souvent méprisée, mais aussi celle de ces milliers de prisonniers allemands, eux aussi bien souvent mal traités, semble s'être évanouie sous les paisibles frondaisons des bois de châtaigniers de Lanniron.
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