La ville de Quimper n'en était pas à sa première épidémie lorsque le choléra s'abattit sur ses quartiers pauvres.
La grande peste noire avait décimé sa population en 1349 offrant à la dévotion populaire le souvenir d'un moine franciscain, Saint-Jean Discalceat, qui, à force de secours apportés aux malheureux pestiférés avait fini par succomber à son tour à l'horrible mort noire.
Elle refit son apparition en 1412. En 1594, pendant les guerres de la Ligue, une nouvelle épidémie de peste aurait fait plus de 1700 morts à Quimper. Les loups rodaient encore aux portes de la cité.
Plus en avant dans l'histoire quimpéroise la peste emporta des dizaines de nouvelles victimes en 1639. Le temps passa et le souvenir des grandes épidémies bien qu'ancré dans les peurs et la mémoire collective sembla pour un long temps appartenir au souvenir d'un très ancien cauchemar. C'était sans compter le développement des échanges commerciaux des nations européennes avec le reste du monde et la circulation des hommes et des épidémies qui allait s'en suivre.
Venu des Indes, le choléra se répandit en Asie avant de prendre place à bord des navires européens et de débarquer dans le royaume de Louis Philippe.
Le choléra, maladie jusqu'alors éminemment exotique, sévissait à Paris dès les premiers mois de 1832.
Début avril, le préfet du Finistère écrivait au maire de Quimper afin de l'inciter à prendre un arrêté pour prescrire tous les moyens utiles d'assainissement et de propreté, notamment dans les quartiers intra-muros qui contenaient des amas considérables de fumiers. La ville comptait alors près d'une dizaine de milliers d'habitants.
Instruction populaire pour se prémunir du choléraLe 3 avril, l'évêque de Quimper promettait la mise à disposition des bâtiments du grand séminaire pour servir d'hôpital pour le cas où le choléra se manifesterait dans l'enceinte de la cité épiscopale. Le 18 avril, le baron de Las Casas, adressait depuis Paris au maire de Quimper une instruction médicale sur les prescriptions à adresser aux malades cholériques qui pouvaient être utiles à de nombreux médecins qui n'avaient pas jusqu'ici été confrontés au choléra. Cette instruction avait été obtenue par ses soins auprès du service du docteur Broussais à l'hôpital du Val de Grâce qui passait alors pour recevoir le plus grand nombre de malades de la capitale.
Le maire de l'époque, Guillaume Eloury, eut le temps de prendre d'autres mesures préventives. Il prescrivit au commissaire de police d'effectuer dans les différents quartiers des inspections journalières. Des arrêtés du maire ordonnant le nettoyage des rues, l'enlèvement des tas d'immondices qui encombraient les rues et menaçaient les points d'eau furent publiés.
Afin de faire face aux dépenses qui n'allaient pas manquer en cas d'épidémie une souscription faisant appel à la générosité publique fut ouverte. La ville fut divisée en 6 quartiers et dans chacun d'entre eux une commission sanitaire présidée par un médecin fut organisée afin Instruction sur le choléra écrit en bretonde visiter, recenser, soigner les malades et de suivre, à défaut de pouvoir la limiter, la propagation de la maladie.
Des instructions en français mais aussi en breton furent imprimées sur les moyens de lutter contre la maladie ou de s'en prémunir. La peur fit son apparition avant la maladie. Si quelques propriétaires fonciers préférèrent s'éloigner de la ville pour leur maison de campagne, dans l'ensemble, la municipalité, le corps médical, la garnison, le clergé et les communautés religieuses ainsi que les administrations firent face à ce fléau avec calme, dévouement et courage.
Les choses se compliquèrent lors des épidémies suivantes où l'on vit plusieurs notables décliner les demandes de contribution de la municipalité. Ainsi, le 15 octobre 1834, le sieur E. Gillart de la Villeneuve déclina t'il la proposition de se joindre au comité de salubrité public au motif que « ma belle-mère qui est vieille et qui a une frayeur terrible de la maladie régnante, exige de moi, que je n'accepte pas d'être admis au nombre des membres du comité de salubrité ».
La maladie arriva à Quimper les 12 et 16 mai. Elle fut la première ville du département à être touchée.
Le 13 mai 1832 le premier malade du choléra était identifié. L'histoire a conservé son nom. Il s'agissait d'un certain Catel, maître de manœuvre de la corvette Eglé de la Royale.
Parti du port de Toulon, il se rendait à Brest. Après une étape à Nantes, le 8 mai il tomba malade à peu de distance de Vannes. A deux heures du matin, souffrant de vomissements il arrivait à Quimper et descendait au relais de diligence, l'auberge du Lion d'Or située place Saint-Corentin. Médecins et édiles quimpérois se pressèrent autour de lui et décidèrent de le transporter à travers les marchés encombrés de Quimper jusqu'à l'hospice. Catel y décéda et son corps fut autopsié sans aucune précaution puis enseveli le lendemain matin. On dilua un peu de son sang dans de l'eau donnée à boire à des canards qui n'en éprouvèrent selon les médecins « aucun dérangement ». Le même jour deux femmes de l'hospice montraient les symptômes de la maladie. Mais le 18 mai, le docteur de kergaradec écrivait encore « il n'y a aucune connexion entre ses deux faits et la celui du matelot Catel ».
Avis aux habitants de Quimper sur le choléra
On pensait alors que la maladie n'était pas contagieuse. Qu'elle ne pouvait pas être contractée au touché des malades. On attribuait plus facilement les causes de la maladie à l'insalubrité des logements et à l'alcoolisme des classes pauvres, fléau alors très répandue en Basse Bretagne, mais aussi et plus généralement, aux excès de mauvaises nourritures, de cidre et à l'absence d'hygiène généralisée.
Dans la réalité, l'insalubrité était souvent la règle, dans les abattoirs, à l'hospice, dans les rues, dans les logements surpeuplés des plus démunies. Surtout, l'infection des eaux des puits et des fontaines publiques souillées par l'infiltration dans le sol des déjections des malades fut l'agent principal de la propagation de la maladie.
La maladie toucha essentiellement les pauvres et parmi eux une majorité de femmes.
Le fatalisme, l'apathie face à ce qui pour certain apparaissait comme un châtiment divin, la méfiance vis-à-vis des médecins, la difficulté à suivre des prescriptions, l'impossibilité de s'alimenter correctement, la peur d'être adressé à l'hospice furent à l'occasion de nombreux décès.
Des malades se cachèrent le plus longtemps possible, d'autres refusèrent les traitements des médecins. Ainsi, le 29 juin, à 6 heures du matin l'aveugle mendiante Kerluen de la rue Neuve qui avait refusé les soins et de se laisser porter à l'hôpital mourrait sans traitement dans un taudis. Le fait que cette maladie touchait surtout les plus pauvres développa chez beaucoup d'entre eux l'idée qu'ils étaient victimes d'un empoisonnement.
Un appareil spécial, le sudatorium du docteur D'Anvers fut rapidement envoyé par le ministère de l'Intérieur aux autorités préfectorales pour être mis à la disposition de la commune. Il était destiné à administrer des bains caloriques (air chaud) aux individus atteints de choléra. Une transpiration salutaire était alors sensée soigner de très nombreuses maladie.
Le sudatorium
« Les cas ou le sudotarium peut être employé sont pour les refroidissements subits des membres, le frisson des fièvres intermittentes, les douleurs anciennes et invétérés, les rhumatismes chroniques, la sciatique, le lombago, la goutte irrégulière, les paralysies, qui ne procèdent pas d'une lésion cérébrales, les syncopes qui surviennent à la suite d'une grande hémorragie ».
On le voit c'était l'appareil miracle. Sous l'effet du choléra, la température externe des malades chutait au-dessous de 37 °C. Les médecins, combattant les symptômes, tentaient de faire remonter la température des patients par ce moyen. Les patients déjà déshydratés par les vomissements et qui survivaient à ce traitement avaient donc toutes les chances de disparaître au premier refroidissement venu.
La pharmacie utilisée pour lutter contre le choléra par les praticiens quimpérois était des plus réduite. Les médecins disposaient en juin 1832 de farine de moutarde et de graine de lin pour cataplasme, de tilleul pour infusion, de laudanum (à base d'opium), d'éther, et d'ipécacuanta, de gomme arabique, d'une seringue avec des canules de rechange et de quelques 200 sangsues.
Le journal médical de l'épidémie de 1832
Le 12 juillet 1832 la maison de secours gratuits dite Saint Joseph était transformé en hôpital temporaire pour recevoir les malades du choléra devant la répugnance qu'avaient les malades à entrer dans l'hospice.
Mesdemoiselles Dufeigna, de Moellien et Le Breton y donnaient leurs soins aux malades. De jeunes séminaristes étaient chargés de donner les soins aux hommes malades tandis que le curé de Saint-Mathieu offrait «dans cet asile de douleurs toute la consolation de la religion». Les prescriptions médicales étaient données par le docteur Le Jumeaux de Kergaradec.
374 quimpérois furent malades. Près de deux cents d'entre eux moururent. Les décès avaient lieu au rythme de 4 à 5 morts par jour.
Le choléra abandonnait enfin Quimper au mois de novembre et disparaissait du département du Finistère le mois suivant.
Division des médecins par quartier de QuimperLes sept médecins quimpérois avaient eu fort à faire, secondés par les filles du Saint Esprit et les infirmiers recrutés dans les troupes militaires du 51ème d'infanterie de ligne alors en garnison.
Le docteur en médecine Courant, chirurgien major du régiment assurait la direction des soins apportés aux militaires malades. Sept médecins civils, les docteurs Le Jumeau de Kergaradec, Bonnemaison, Follet, Le Duc, Gestin, Kerallain, Dauvain, Veilhers et Delussay apportèrent jour et nuit leurs soins à leurs malheureux contemporains.
Dès le 19 mai, le maire avait sollicité le détachement de 2 chirurgiens de marine de Brest.
Pendant toute l'épidémie des cours gratuits d'information furent établis à l'hôtel de ville et un bureau central de salubrité fut nommé auquel lui furent adjoints six comités de surveillance organisés par quartier et chargés de surveiller l'application des mesures sanitaires.
En récompense de son dévouement et de sa conduite désintéressée pendant l'épidémie, M. Delussay officier de santé de la marine se vit offrir une épée d'honneur par la ville de Quimper. Quatre militaires et sous officiers du 51ème reçurent une médaille d'honneur d'argent frappée par la Ville. Livret au profit de la souscription pour les cholériques
Le printemps 1833 trouva Quimper rassurée lorsque que la maladie refit son apparition en Europe. Une nouvelle vague de choléra déferla sur la ville en octobre 1834. Elle fit cette fois plus de 150 morts. En 1849 et 1850, une nouvelle épidémie sévit à Quimper. On dénombra encore près de 50 décès. En 1885-1886, époque de la dernière apparition du choléra à Quimper, 36 décès furent néanmoins enregistrés. Le bacille du choléra ne fut découvert qu'en 1884.
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