Plaque de rue au nom de la famille Gabaï La ville de Quimper, soucieuse d'assumer pleinement son devoir de mémoire a, par une délibération votée à l'unanimité le 25 avril 2005, donné le nom de la famille Gabaï à l'esplanade située devant l'ancien gymnase de Quimper, rue Jean Jaurès.
Si le destin tragique de la famille de Max Jacob est bien connu celui de cette autre famille juive quimpéroise a longtemps été oublié.
C'est pourquoi nous lui consacrons le grenier de la mémoire de ce mois.
La famille Gabaï appartient à la communauté juive originaire de Turquie. Victor, le père est né à Istanbul. Laura, son épouse aussi prénommée Lara, a vu le jour à Smyrne. Tous deux sont nés en 1904. Le couple arrive en France au début des années trente et s'installe dans un Le Quartier Sainte-thérèse où vivait la famille Gabaïpremier temps à Paris.
Victor Gabaï exerce la profession de marchand forain. Avec son épouse et leur fille Lucienne, née le 2 janvier 1934 à Paris, il quitte le 12ème arrondissement pour venir s'installer à Quimper entre le mois de janvier et le mois d'avril 1934 après une étape à Rennes. Nous ignorons les raisons qui ont motivé leur venue à Quimper mais d'autres forains appartenant à leur communauté résident dès cette époque à Quimper.
La famille, aux revenus modestes, s'installe alors en location dans un petit appartement composé d'une chambre et d'une cuisine au 15, rue Le Déan. Un premier drame frappe le ménage à peine arrivés à Quimper ; la petite Lucienne décède brutalement, âgée seulement de quelques mois.
Joseph et Jacques photographiés dans le jardin du théâtre En 1936, la famille Gabaï s'agrandit avec la naissance, le 24 mars, d'un enfant prénommé Jacques. Le 22 février 1938, Laura accouche d'un second petit garçon prénommé Joseph Gérard.
Souhaitant définitivement intégrer sa famille dans la société française, Victor Gabaï déclare opter le 26 mai 1936 puis le 14 septembre 1938, au nom de ses enfants, pour la nationalité française par déclarations faites devant le juge de Paix de Quimper.
La famille mène une vie paisible et modeste pendant les années qui suivirent. Le père figure régulièrement dans la matrice des impôts et patente sous la profession de «marchand forain avec balle».
Sans doute, possède t-il une petite baraque sur une place de Quimper ou sur les allées de Locmaria.
Victor Gabaï aurait pu échapper à la guerre étant étranger. Mais le 2 septembre 1939, il s'engage comme volontaire dans le régiment de marche des volontaires français.
Cette unité est essentiellement composée de volontaires étrangers, réfugiés espagnols et de juifs d'Europe centrale, combattants tous très motivés par le combat anti-fasciste. Mais ces volontaires étrangers, appelés les soldats ficelles par les militaires des autres unités, sont très mal équipés.
La prison Saint-Charles à QuimperL'unité dans laquelle sert Victor Gabaï est faite prisonnière en juin 1940. Victor Gabaï est détenu en captivité en Allemagne pendant la durée du conflit.
Les combattants juifs prisonniers de guerre sont protégés par leur statut militaire. Paradoxalement donc, c'est à sa captivité par les Allemands mais en tant que militaire français que Victor Gabaï doit d'échapper à la déportation. Il ne revient en France que le 4 avril 1946. Ce sont les familles des volontaires étrangers qui sont particulièrement victimes des persécutions raciales.
Tandis que son mari est détenu comme prisonnier de guerre, Laura Haïm-Gabaï dépose à son tour une demande de naturalisation en 1940. L'un de leurs enfants au moins, Joseph Girard Gabaï est scolarisé à partir de septembre 1940 à l'école de la rue des Réguaires alors école privée catholique.
Différents documents d'archives permettent d'attester de la présence à Quimper, jusqu'au début de l'année 1944, de Laura Haïm-Gabaï et de ses deux garçons.
Selon les informations possédées par les archives municipales, Laura, Joseph et Jacques Gabaï sont arrêtés à Quimper par la police allemande le 4 janvier 1944.
Les Gabaï sont conduits à la prison Saint-Charles à Kerfeunteun.
Selon les souvenirs d'un témoin de l'époque, les enfants sont malades, pour les soutenir un peu, la mère partage son maigre repas entre ses deux enfants.
Il existe un autre témoignage concernant ces enfants, celui d'une demoiselle Jaouen qui assurait le service d'entraide de la Croix Rouge dans la prison. Ses souvenirs ont été recueillis et publiés par A. Le Grand et G.M. Thomas dans Le Finistère dans la guerre :
J'étais justement à la prison lorsqu'ils sont arrivés. Quel tableau déchirant c'était de voir ces pauvres petits tout éplorés s'accrochant à leur maman ! Je tente une démarche auprès du Feldkommandant pour les emmener chez moi quelques heures l'après-midi. Mais c'est la Gestapo qui est juge en la matière. J'obtiens néanmoins l'autorisation d'aller jouer une heure par jour avec ses enfants dans la cour de la prison. J'arrive avec une poupée et son berceau. Le plus jeune me dit « Suis pas une fille moi ! » Non, c'est un petit garçon de 5 ans, mais il a de longues et belles boucles brunes. Mais j'ai apporté aussi un gros ballon.
La Schoultz [gardienne allemande] nous enferme à double tour dans la cour des femmes entourée de hauts murs, froide et sinistre, surtout en ce mois de janvier. Le bâtiment où sont les cellules est lugubre. De l'autre coté du mur, la cour des hommes est plus grande. Nous avons la permission de nous y rendre. Nous traversons un long couloir mal éclairé qui dessert le quartier des femmes. La geôlière nous a suivis mais, en passant, j'ai pu dire à Mme Sigoura arrêtée aussi parce qu'elle est juive, que son fils a échappé à l'arrestation et qu'il est en lieu sûr.
Aujourd'hui deuxième jour de mes visites aux enfants Gabaï, Jacques qui a 8 ans, m'a dit discrètement, tout en jouant, que sa maman voudrait faire sortir de prisons des papiers qu'elle a pu soustraire à la fouille. Ma complicité lui est acquise. Sera-ce pour demain ?
Je trouve, en effet, lesdits documents dans le petit matelas du berceau de poupée. Un moment d'inattention de la Schoultz et voilà les papiers dans la poche de ma cape...
Je n'ai pas été fouillée à la sortie de la prison. Je remets les papiers au président de la Croix Rouge qui doit les déposer chez un notaire.
Je revins douze jours consécutifs auprès des deux petits Gabaï ainsi moins coupés du reste du monde. La Croix Rouge de la jeunesse fit, de son coté tout ce qu'elle put pour les arracher aux Allemands, mais en vain.
La condition de vie des femmes au camp de DrancyQuinze jours environ après leur arrestation les deux enfants et leur mère quittent à jamais Quimper.
Ils sont internés au camp de Drancy à l'instar de Max et de Gaston Jacob.
Le 3 février 1944, Laura Gabaï et ses deux enfants sont déportés en Pologne. Ils figurent parmi les 1 414 déportés du convoi n° 67. Ce convoi emporte notamment vers Auschwitz 184 enfants et 552 femmes dont une mère et ses sept enfants, âgés de 2 à 15 ans et le grand rabbin de Strasbourg, René Hirschler. On compte également parmi les déportés les époux Sigoura d'Ergué-Armel.
Le 6 février 1944, le train arrive au camp d'extermination. Seuls 166 hommes et 49 femmes sont «sélectionnés» pour le travail par les «médecins» SS et épargnés dans un premier temps.
Laura Haïm et ses deux garçons âgés de 6 et 8 ans figurent au nombre des 1 199 hommes, femmes et enfants de ce convoi qui pour reprendre la terminologie alors employée ne furent pas «sélectionnés». Ils furent probablement gazés par les nazis dans les heures ou les jours qui suivirent leur arrivée à Auschwitz.
La date officielle des décès de Laura Haïm et de ses deux fils a néanmoins été fixée au 15 février 1944 dans leur acte de décès dressé après guerre.
En 1945, il ne restait que 26 survivants du convoi n°67.
Acte de décès de Laura Haïm épouse GabaïSeul l'époux de Laura Haïm a survécu à cette période. Il revient à Quimper en 1947, à la recherche de sa famille. Il est naturalisé français par le décret du 22 mars de la même année. Mais rapidement, il quitte Quimper pour Paris où il décède en 1972, rue du faubourg Saint-Antoine, toujours veuf de Laura Haïm.
Selon des témoins, il n'abordait jamais cette douloureuse question de la mort de sa femme et de ses enfants.
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