Les cafés et les cabarets ont toujours été des lieux de convivialité et d'intégration sociale à une époque où les logis surpeuplés ne permettaient pas de grandes réunions festives. Les loisirs étant financièrement inabordables pour les classes laborieuses, les ouvriers et les employés se retrouvaient donc facilement avec leurs camarades à la fin de la journée de travail dans ces cafés et cabarets.
Buvette un jour de marché.Des embauches, des affaires matrimoniales ou commerciales s'y réglaient autour d'un verre, notamment lors des jours de foires et marchés. Mais il s'agissait aussi des lieux de forte alcoolisation dont était principalement victime la tranche la plus pauvre de la population. En 1868, une enquête est diligentée à la demande du ministre de l'intérieur sur le développement de l'ivrognerie en France.
Elle permet de dresser le tableau suivant dans le département du Finistère : « Il y a dans le département 5806 débits de boissons, c'est à dire un pour 114 habitants [....]. Ils débitent 27 000 hectolitres d'alcool. [...] Pas une commune n'est exempte de ce fléau. Un homme sobre est une exception. Dans les classes élevées, on s'inquiète. Les propriétaires surtout qui voient leurs champs délaissés pour le cabaret ».
Longtemps lieu proscrit par les autorités religieuses sous l'Ancien Régime, très contrôlé par la police au XIXème siècle, le cabaret est aussi un espace de transgression, d'agitation politique et syndicale où se diffuse parfois des écrits subversifs.
Les municipalités quimpéroises successives ont, de tous les temps, tenté de limiter les excès des plus intempérants de leurs contemporains.
Le commissariat de la police municipale est le bras armé du pouvoir civil dans sa lutte contre les désastres liés à l'alcoolisme. La police doit en effet assurer la surveillance étroite de ces lieux. Le maire et le préfet n'hésitent pas à interdire l'ouverture de nouveaux débits ou à ordonner, après enquête administrative voire policière, la fermeture des lieux réellement réputés infâmes.
Dans un courrier en date du 13 mai 1856, le secrétaire général de la préfecture se plaignait dans les termes suivants de la police des cabarets à Quimper : « Les arrêtés municipaux ne contiennent aucune disposition en ce qui concerne la défense aux cabaretiers de donner à boire aux gens ivres, de recevoir chez eux les enfants, les gens sans aveux, les vagabonds et filles publiques. Ce sont là des lacunes qu'il est urgent de combler ».
Un vieux Quimpérois.En 1858, Edouard Porquier, maire de Quimper prend un arrêté sur la police des cabarets répondant ainsi à la ferme sollicitude du préfet. Ce règlement de police est désormais affiché dans tous les débits de la ville. Les agents de police sont chargés de sa stricte application.
Chaque débit doit désormais être signalé par une enseigne. Chaque débitant doit posséder des verres ou mesures légales. Les verres doivent être tenus dans un parfait état de propreté et c'est là une véritable gageure car à cette époque la ville, malgré ses 9 896 habitants, ne dispose que de six puits et sept fontaines pour l'alimentation en eau potable.
Pire, seul un puit et cinq fontaines permettaient d'obtenir une eau réputée consommable. Dans ces cabarets, le contenant est donc potentiellement aussi dangereux que le contenu. Les cafés doivent fermer après 21 heures en été et 19 heures en hiver, heures signalées au beffroi de la cathédrale. Les jeux de hasard sont prohibés. Il est évidemment interdit de recevoir, de servir des hommes sans aveu (anciens condamnés ou hommes recherchés par la Justice) et les femmes de mauvaises vies.
Ce règlement est pourtant largement battu en brèche par de nombreuses exemptions. Les cabaretiers se saisissent en effet de chaque occasion festive pour solliciter et souvent obtenir une dérogation pour établir une buvette foraine ou déroger aux heures d'ouvertures.
Le débit Gentric rue Saint-François.Les cavalcades, les courses de chevaux, les fêtes des gras, les jours de foires et de marchés, les concours agricoles et même la messe de minuit à Noël sont ainsi l'occasion de débiter vins, cidre et eaux de vie à profusion en dehors des lieux et des heures réglementaires. La concurrence est rude entre les débitants.
Les cabaretiers quimpérois, dès le Second Empire, louent les services de sonneurs de biniou pour attirer la foule des danseurs et des buveurs vers leur enseigne. Des rixes finissent généralement par aboutir à des fermetures administratives de ces estaminets, voire même à l'interdiction générale du biniou dans la ville. D'autres cabaretiers achètent des jeux de billard pour attirer la clientèle des militaires en permission.
Aux mesures coercitives classiques (police des cabarets, condamnations pour ivresse ou tapage nocturne) s'ajoutent des initiatives privées pour tenter dès le 19ème de faire baisser la consommation de vins et d'eau de vie des consommateurs bretons, véritable fléau social. Ainsi un projet de société départementale d'encouragement pour l'extinction de l'ivrognerie dans le Finistère voit-elle le jour à Quimper dès le 5 avril 1849. Son impact reste des plus limité.
Si jusqu'au début du XIXème siècle la majorité des cafés et cabarets se trouve dans le vieux Quimper intra-muros, notamment autour des places Saint Corentin, Terre au Duc, des Halles, des rues Royale et Keréon, vers le milieu du siècle on constate un déplacement sensible des ouvertures de nouveaux débits vers les rues d'entrées de la ville.
On les trouve en grand nombre dans les rues du Chapeau Rouge, de Douarnenez (11 cabarets), de Kerfeunteun, de Pont l'Abbé, ainsi que vers la gare et dans les faubourgs ouvriers des quartiers de la Providence (15 cabarets au début du siècle) ou de la rue Neuve (17 cabarets en 1901).
Tout au long de cette période les autorités préfectorales et municipales se préoccupent du développement du nombre de ces cabarets, tout en devant gérer une contradiction de taille. Une large part du budget municipal provient des droits d'octrois et plus particulièrement d'une taxe additionnelle prélevée sur l'alcool vendu en ville. Il y a 126 débits à Quimper en 1852 (1 pour 87 habitants).
En 1873, on en dénombre désormais 183 dont 27 tenus par des veuves, soit un cabaret pour 72 habitants. En 1900, 1765 hl d'alcool pur contenu dans les eaux de vie, absinthes et liqueurs et 110 hl de vins alcoolisés sont consommés en ville : soit une quantité de 9,6 litres d'alcool pur par habitant. La ville compte alors 19 441 habitants.
Ancienne auberge de la Croix verte rue Elie Fréron.Tous droits réservésEn 1901, le nombre des cabarets atteint le chiffre record de 203. En 1916, Quimper a le triste privilège d'être la 3ème ville du Finistère où l'on consomme le plus d'alcool par habitant. La fréquentation et le nombre des débits s'accroissent en effet avec l'arrivée du chemin de fer, la présence d'une garnison permanente, l'essor général de la population urbaine mais aussi avec la misère et le chômage.
De nombreux débits s'ouvrent également au-delà des frontières de la ville, vers les entrées d'Ergué-Armel et Kerfeunteun afin d'éviter notamment le paiement des droits de patentes et d'octrois dus sur les vins et alcools qui entrent dans la ville.
Les cabarets ne sont souvent, comme dans l'ancienne auberge de la Croix Verte, rue Royale, que des pièces basses et obscures, occupant les rez-de-chaussée de logis anciens typiques du vieux Quimper. Le mobilier en est souvent des plus rustiques et rudimentaire. La clientèle se tient sur un sol en terre battue. Chaque cabaret ne peut guère accueillir à l'intérieur plus d'une douzaine de consommateurs à la fois.
Les tenanciers exercent souvent parallèlement une autre profession : forgeron, cocher, boucher, menuisier, dentiste, retraités des administrations, de l'armée ou de la gendarmerie. Cette activité ne produit généralement qu'un revenu complémentaire mais il permet à de nombreuses veuves chargées d'enfants de survivre.
Si dans son ensemble la majorité des débitants est soucieuse du respect de la loi et souhaite par ailleurs conserver sa licence, une minorité de débitants jette le discrédit sur cette profession généralement jugée peu honorable par la bourgeoisie locale.
La moralité de certains exploitants de ces assommoirs est en effet sujette à caution. En janvier 1870, le commissaire de police de Quimper dresse un rapport accablant d'un certain nombre de ces exploitants. Les quelques cas suivants illustrent parfaitement la situation de Quimper.
La fête du baptème (gravure d'Olivier Perrin).Ainsi, la moralité de la veuve Kerroué, tenancière, est-elle jugée des plus mauvaises par les autorités. Il est vrai qu'elle se livre dans son propre établissement à la prostitution d'une manière notoire. Elle est particulièrement signalée en 1870 comme ayant donné du mal vénérien à un militaire du 97ème régiment de ligne. Elle se livre également à la boisson et a été mise au violon à plusieurs reprises pour tapage et ivresse.
Une autre cabaretière, la veuve Kerouédan est également signalée au commissaire de police comme favorisant la débauche des jeunes filles tandis que la femme Le Men n'inspire guère davantage de confiance au chef de la police : « Son établissement n'est pour ainsi dire fréquenté que par des personnes d'une conduite équivoque et par des filles publiques ».
Une autre patronne de café, la femme Le Floch, après avoir connu deux fermetures administratives est condamnée à six mois de prisons, le 26 février 1870, pour de nombreux vols commis au préjudice des personnes qu'elle attirait dans son établissement et qu'elle dévalisait après avoir eu soin de les enivrer. Elle tente mais sans succès d'utiliser l'une de ses filles, alors mineure, comme prête-nom pour poursuivre son activité, sans succès. Le commissaire de police Guillerme surveille alors de très près les affaires des Le Floch.
En 1873, c'est au tour de la dame Ansquer d'être retrouvée en plein jour ivre morte dans son propre débit. Cette situation conduit à la fermeture définitive du cabaret.
En 1875, l'établissement dirigé par la femme Meudec est lui aussi fermé. La tenancière ayant donnée à boire, avec un tel excès, à un individu déjà en état d'ivresse que le client intempérant en est mort.
Le cas du café cabaret de Joseph Herviou de la rue Neuve mérite, lui aussi, de figurer en bonne position dans cette pénible litanie. L'homme appartient pourtant à la compagnie des sapeurs pompiers de Quimper, fonction qui lui confère, par principe, une caution d'honorabilité. Une suite de manquements graves et répétés attire sur lui le regard du commissaire de police.
En 1874, il ne subit en effet pas moins de quatre condamnations devant le tribunal de simple police pour avoir à plusieurs reprises donné à boire à des militaires en dehors des heures d'ouverture légale, pour violence sur les époux Le Goff devant huit témoins, pour défaut de registre de police et pour diffamation. Cette dernière affaire l'amène devant le tribunal correctionnel de Quimper.
Il découvre alors que le cabaret tenu par le sapeur pompier est fréquenté par des prostitués et que le dit Herviou est lui-même le fils d'un forçat libéré et ancien maître de maison de tolérance.
Au cabaret.Autre exemple typique de fermeture ordonnée par le préfet, le débit du sieur Le Gall de la rue Royale : l'homme est décrit par la police comme un ivrogne invétéré, d'un caractère très violent, maltraitant constamment sa femme et ses enfants, les menaçant même régulièrement de son couteau.
De fait, à cette époque des dizaines de cabarets et de cafés sont fermés chaque année soit temporairement ou définitivement pour des infractions à la police des cafés et des faits contraires à la morale publique. Cette situation s'atténue avec le temps. Le travail quotidien de la police améliore l'état général de ces débits.
En 1901, des exceptions subsistent néanmoins pour confirmer la règle. Ainsi, c'est à la demande du commissaire de police lui-même, que le maire prend la décision de fermer l'établissement, « le jus de carotte » à la suite d'une agression nocturne suivie de vol, advenue contre un ouvrier plâtrier, client de l'établissement.
Qualifié par la police « d'établissement interlope », le cabaret passe pour un objet de scandale continuel : « sept filles soumises y trouvent en effet asile et le lieu devient le rendez-vous de tous les souteneurs et repris de justice de Quimper ».
La ville de Quimper est le siège d'une garnison dont le nombre fluctua beaucoup au gré des époques.
A partir de 1877, le 118ème régiment de ligne et son état major s'installent dans les casernes des ursulines. Ce sont quelques 850 conscrits qui à l'occasion de permissions de minuits sont susceptibles de créer des tapages nocturnes et des troubles à l'ordre public. Face à eux, le commissaire de police ne dispose que de six hommes.
Effectifs réduits la nuit à seulement à une patrouille de deux hommes. Avec l'arrivée de la garnison, la prostitution se développe également considérablement.
De nouvelles maisons closes s'ouvrent, notamment rue Pen Ar Stang tandis que la prostitution non contrôlée sanitairement dans le cadre des maisons de tolérance se développe considérablement dans les communes environnantes. A telle enseigne que le commissaire de police de Quimper est doté dès le Second Empire de pouvoir de police sur l'ensemble des communes du canton pour juguler ce phénomène.
Les commandements du soldat.Tous droits réservésLe conscrit sous influence éthylique figure parmi les troubles-paix les plus craints des agents de polices, peu nombreux qui doivent régulièrement faire face au cours de leur patrouille nocturne à des groupes de militaires hostiles qui parfois baïonnettes à la main refusent d'obtempérer à leurs sommations.
Quelques exemples : le 10 février 1857, un groupe de militaire tente de forcer de nuit les portes de la maison de la rue Penn Ar Stang et saccagent le mobilier, insultant et menaçant les agents de la force publique appelés en renfort. Dans un rapport du 17 mai 1875, le commissaire de police dénonce la conduite d'un certain nombre de soldats du 118ème de ligne dans les rues de Quimper.
Un autre rapport daté du 14 juin 1886 signale encore une rixe survenue au Pont-Firmin entre civils et militaires. Ces derniers avaient dégainé leur sabre en sortant, passablement ivres, d'une auberge de la gare et répandaient l'épouvante dans le quartier. Parmi les civils on releva un jeune homme blessé d'un méchant coup de sabre qu'un soldat lui porta à la tête sans provocation de sa part.
Ces plaintes rapportées à l'administration militaire aboutissent généralement à des peines de cachots pour les militaires ivres ou violents.
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